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26 mai 2021

Intelligence Artificielle et Brevet : deux notions incompatibles ?

Depuis qu’elle a vu le jour en 1950 grâce au mathématicien Alan Turing, la notion d’Intelligence Artificielle (IA), qui n’était au départ qu’une idée, a beaucoup évolué. Ces dernières décennies, l’essor des techniques informatiques a permis aux algorithmes d’IA de trouver des applications dans quasiment tous les secteurs d’activités. Du diagnostic de maladies à la conduite automatique, le développement de technologies basées sur l’Intelligence Artificielle est à l’origine de nombreux investissements financiers. Au travers de ces investissements, les entreprises ont généralement pour objectif de se distinguer sur leurs marchés en créant des produits pour lesquels ils pourront avoir un monopole d’exploitation. L’ensemble de ces éléments soulève la question suivante : Peut-on protéger une IA par brevet ?

Une IA peut-elle être considérée comme une « invention »?

Un grand nombre d’entreprises pense qu’une innovation concernant un dispositif, un procédé ou un système mettant en œuvre une IA n’est pas brevetable. Pourtant, ces dernières années, on ne peut que constater l’apparition de nombreux brevets venant contredire cette idée reçue. A titre d’exemple, on peut citer le brevet EP3441936 de la société SIEMENS HEALTHCARE concernant un dispositif d’analyse de lésions post intervention chirurgicale à l’aide d’un algorithme d’IA entraîné avec des données de patients ; le brevet EP2047409 de la société MICROSOFT utilisant une IA pour la reconnaissance de caractères ou encore le brevet EP3404576 de LG ELECTRONICS concernant une unité d’IA qui détecte la perte ou le vol d’un téléphone mobile et le configure pour limiter son fonctionnement.

Alors qu’en est-il réellement ?

Il n’existe pas dans le Code la Propriété Intellectuelle ou dans la Convention sur le Brevet Européen (CBE) de définitions de ce qu’est une invention brevetable. En revanche, ces textes fournissent une liste non exhaustive de ce qui ne peut pas être considéré comme une invention (CPI, art. L611-10 (2),(3) et CBE, art. 52 (2) (a) à (d)). Dans cette liste, on retrouve notamment les « méthodes mathématiques », les « principes et méthodes dans l’exercice d’activités intellectuelles » et les « programmes d’ordinateur » ; toutefois, cette exclusion concerne ces objets pris « en tant que tels » (CPI, art. L611-10 (3) et CBE, art. 52 (3)). Dans le cas particulier des programmes d’ordinateurs, si les lignes de codes ne sont pas protégeables par brevet, c’est parce que leur protection relève du droit d’auteur.

Dans le domaine de l’IA, il faut donc comprendre qu’une demande de brevet portant par exemple sur les éléments mathématiques à la base des réseaux de neurones sera rejetée d’office au titre des articles L611-10, CPI et 52, CBE, alors qu’une demande de brevet concernant un développement mettant en œuvre une IA ne le sera pas.

Ainsi, il faut retenir que les applications techniques qui mettent en œuvre des méthodes mathématiques ou des programmes d’ordinateurs sont potentiellement brevetables si elles contribuent à produire un « effet technique » et si elles satisfont aux critères de brevetabilité.

Une IA peut-elle satisfaire au critère d’activité inventive ?

Pour bénéficier d’une protection par brevet, une invention basée sur une IA doit satisfaire, comme toute autre invention, à trois critères. Tout d’abord, elle doit être nouvelle c’est-à-dire qu’elle ne doit pas être comprise dans l’état de la technique au jour de la demande du brevet (art. L611-11, CPI et art. 54 (1), CBE). Ensuite, il faut qu’elle implique une activité inventive, c’est-à-dire qu’elle ne découle pas d’une manière évidente de l’état de la technique (art. L611-14, CPI et art. 56, CBE). Enfin, il faut qu’elle soit susceptible d’application industrielle, c’est-à-dire que son objet puisse être fabriqué ou utilisé dans tout genre d’industrie, y compris l’agriculture (art. L611-15, CPI et art. 57, CBE).

En pratique, s’il est plutôt aisé de déterminer si une invention de ce type est nouvelle (c’est-à-dire si la même invention existe dans l’art antérieur), il n’en est pas de même concernant l’activité inventive. En effet, de nombreux outils d’IA font partie aujourd’hui des connaissances générales de l’homme du métier et il n’est pas toujours simple de déterminer, pour une invention, l’ampleur de la contribution inventive de l’inventeur.

Pour tenter de mieux comprendre cette notion, plusieurs exemples sont à considérer:

Une invention qui aurait pour objet l’automatisation d’un processus existant en fournissant des données d’entrée à un algorithme d’IA sans paramétrage particulier ou sélection particulière des données d’entrée, présenterait une activité inventive très faible, voire inexistante, et l’obtention d’un brevet serait peu probable (voir décision T755/18).

A contrario, une invention qui consisterait par exemple, à créer un algorithme d’IA, à le paramétrer ou encore à choisir des données d’entrées adéquates, dans le but de résoudre un problème technique, pourrait être considérée comme inventive.

Dans ces différents cas, c’est la contribution technique des caractéristiques revendiquées qui permet de déterminer si une invention basée sur une IA est inventive ou non (voir décision T641/00).

Ainsi, une invention créée par une IA est soumise aux mêmes critères de brevetabilité que les autres inventions ; ce qui ne manque pas de soulever des difficultés quant à l’appréciation du critère d’activité inventive.

Une IA peut-elle être désignée comme inventeur ?

A l’heure où les IA sont capables d’inventer aussi bien que les êtres humains, peut-on pour autant désigner une IA comme inventeur dans une demande de brevet ? C’est la question qu’a soulevé la demande de brevet européen au nom de DABUS.

Dans cette demande, une IA du nom de DABUS a été désignée comme inventeur par le déposant parce qu’elle était à l’origine de l’invention. Le déposant estimait ne pas être le véritable inventeur mais n’être que le propriétaire de l’IA. Cette demande a pourtant été rejetée pour non-respect des exigences de l’articles 81 CBE et de la règle 19(1) CBE selon lesquels, le nom de l’inventeur doit absolument être mentionné sur la demande. Or, le nom d’un objet ne peut remplacer le nom d’une personne puisque seule une personne a la capacité d’exercer les droits conférés par le brevet et qu’un objet n’a pas de personnalité juridique. Ainsi, les machines ne peuvent être considérées comme des employées, ni céder de droits à un ayant-cause ; et aucune loi nationale ne prévoit qu’une chose puisse être reconnue comme inventeur.

En définitive, dans un contexte où l’IA devient incontournable dans de nombreux secteurs d’activité, rien n’exclut d’office les IA de la brevetabilité. Cependant, comme pour les inventions d’une autre nature, une IA doit impérativement satisfaire au critère de nouveauté, d’activité inventive et d’application industrielle pour bénéficier d’une protection par brevet. Par ailleurs, bien que de nombreuses IA soient à l’origine d’inventions, il n’est pas possible à ce jour de désigner une IA comme inventeur dans une demande de brevet.

Amina GIRIN-AFROUNN