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14 janvier 2021

Faut-il craindre les brevets portant sur les médicaments ou les vaccins ?

Un an après le début de la pandémie du virus COVID-19 qui a traversé la planète, la vaccination débute dans de nombreux pays et laisse entrevoir la fin de cette crise sanitaire sans précédent. Entre temps, de nombreux laboratoires pharmaceutiques se sont engagés dans une course contre la montre pour être les premiers à développer un vaccin.

Comme les médicaments, les vaccins peuvent être protégés par des brevets. Certains pourraient alors craindre que de tels brevets, par les droits exclusifs qu’ils accordent à leur titulaire, ne soient un frein à la diffusion du vaccin, voire à l’émergence de thérapies nouvelles ; et que, au final, la logique de profit l’emporte sur le besoin de santé publique.

Alors qu’en est-il réellement ? Quel(s) rôle(s) le brevet peut-il jouer dans la diffusion d’une innovation ?

Rappelons tout d’abord qu’un brevet n’est pas un gage de l’efficacité thérapeutique du médicament ou du vaccin pour lequel il est demandé. En effet, la procédure d’examen pratiquée par des principaux offices de propriété intellectuelle dans le monde vise à vérifier que l’invention telle que décrite dans la demande répond bien aux exigences de la brevetabilité, à savoir nouveauté (la solution technique n’a jamais été divulguée auparavant) et activité inventive (la solution technique n’était pas évidente pour l’homme du métier).

En France, comme en Europe, l’examen de la demande de brevet porte également sur l’application industrielle de l’invention, dont l’objet doit pouvoir être fabriqué ou utilisé dans tout genre d’industrie (article L. 611-15 du Code de la propriété intellectuelle).

Pour autant, cet examen ne porte pas sur l’efficacité de l’invention mais vise seulement à vérifier qu’elle est bien susceptible d’être produite, refusant ainsi la protection à des inventions manifestement irréalisables.

C’est par une procédure distincte que l’efficacité thérapeutique d’un médicament ou d’un vaccin est vérifiée : l’autorisation de mise sur le Marché (AMM). Elle est délivrée par les autorités administratives compétentes de chaque pays : l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM) pour la France, l’Agence européenne des médicaments (EMA) pour l’Europe, la Food and Drug Administration (FDA) pour les Etats-Unis…

Ainsi, il est possible qu’un vaccin se voit délivrer un brevet parce que les connaissances sur lesquelles il se fonde sont bien nouvelles et inventives, mais se voit refuser par ces autorités sa mise sur le marché, parce que les essais cliniques réalisés ne permettent pas de garantir au mieux la qualité, la sécurité et l’efficacité de son utilisation.

Alors, si le brevet n’est pas une garantie d’efficacité, quelle fonction a-t-il ?

Le brevet, un outil d’incitation à l’innovation

Le brevet confère au premier inventeur à en avoir fait la demande un droit exclusif d’exploitation sur l’invention telle qu’il l’a revendiquée. Ce monopole accordé sur la solution technique décrite constitue une exception au principe général de libre concurrence entre les acteurs économiques.

Cela permet à son titulaire de se placer en dehors du champ de la concurrence afin de pouvoir espérer rentabiliser les investissements réalisés pour la mise au point de son invention.

Dans le domaine pharmaceutique, la phase de recherche et développement est très longue et très coûteuse (en moyenne 900 millions de dollars sur plus de 11 ans selon le LEEM). Il est évident que, sans brevet, un laboratoire pharmaceutique aurait peu d’espoir d’avoir un retour financier à la hauteur des sommes investies ; car dès la mise sur le marché du médicament ou du vaccin, les concurrents pourraient alors facilement copier son caractère innovant et commercialiser le même produit, sans avoir toutefois à supporter les mêmes coûts de développement.

La fonction première du brevet est donc d’assurer que le bénéfice de l’innovation revienne d’abord à celui qui en a pris l’initiative et le risque financier. Il joue donc un rôle d’incitation à l’innovation.

Mais ce monopole conféré par le brevet n’est pas accordé au titulaire sans condition : il s’engage en contrepartie à diffuser publiquement les connaissances qu’il détient sur son invention.

Le brevet, un outil de partage des connaissances

Le demandeur d’un brevet a l’obligation de décrire son invention « de façon suffisamment claire et complète pour qu’un homme du métier puisse l’exécuter » (article L612-5 du Code de la propriété intellectuelle) ; sans quoi son brevet encourt la nullité.

Le brevet joue alors un rôle de « récompense » pour inciter l’inventeur à partager les connaissances qu’il détient sur son invention, plutôt que de vouloir les conserver secrètement. Le brevet, une fois publié, bénéficie à toute la communauté scientifique qui peut alors accéder à des connaissances qu’elle ne pourrait pas obtenir par ailleurs.

Ainsi, le brevet déposé par un laboratoire pharmaceutique pour son médicament ou son vaccin devient une source d’information pour tous les autres laboratoires qui peuvent s’en inspirer pour développer de nouvelles connaissances qui leurs sont propres, potentiellement brevetables. En résulte alors un cercle vertueux de diffusion des connaissances contribuant ainsi à faire progresser la science et à favoriser l’innovation.

Toutefois, bien que ces connaissances soient librement partagées ; leur exploitation économique sur le marché ne peut se faire sans l’accord du titulaire du brevet. Mais plutôt que créer une situation de blocage, il peut être tout aussi intéressant pour son titulaire d’autoriser l’exploitation de son brevet par des tiers.

Le brevet, un outil de collaboration

Le brevet devient alors un moyen pour différents acteurs de collaborer ensemble. Leur objectif ? Accélérer le développement global du médicament ou du vaccin en mettant à profit l’expertise et les ressources de chacun ; plutôt que le faire tout seul en prenant le risque de ne pas y arriver avant les autres…

Il ne fait aucun doute que les brevets sont au cœur de leur collaboration : d’abord pour organiser l’utilisation par l’un des connaissances brevetées antérieurement par l’autre ; mais aussi pour déterminer comment seront partagées la propriété et l’exploitation des connaissances relatives au médicament ou vaccin développé en commun.

Sans brevet, il serait difficile pour ces deux acteurs de conclure de tels accords, de peur que l’autre n’accède à des connaissances qu’il détient sans contrepartie. Le brevet joue donc un rôle de facilitation du transfert de connaissances permettant d’accélérer le cycle de développement d’une innovation.

Le brevet permet également d’organiser la diffusion de l’innovation sur le marché, notamment lorsque la demande excède la capacité de production du titulaire du brevet. On peut être le plus innovant mais pas forcément être celui qui dispose de la grande force de frappe !

Si le titulaire du brevet ne dispose pas d’outils de production et d’approvisionnement adaptés à la taille du marché, il aura toujours la possibilité d’autoriser l’exploitation de son brevet par d’autres laboratoires pharmaceutiques en leur concédant des licences exclusives ou non (article L. 613-8 du Code de la propriété intellectuelle) en contrepartie de redevances.

Ainsi le brevet permet également de convertir un concurrent en partenaire, afin d’assurer une production optimale du vaccin et répondre à la demande globale.

Le brevet, un outil tout puissant ?

Bien que le brevet constitue un véritable outil d’incitation à l’innovation, de partage des connaissances et collaboration entre les acteurs économiques, celui-ci est bien souvent critiqué parce qu’il favoriserait une rente économique pour les laboratoires pharmaceutiques en pratiquant des prix exorbitants pour leurs vaccins.

Pourtant, le système du brevet comporte plusieurs mécanismes qui viennent limiter le droit des titulaires.

Le premier tient à la portée du droit conféré par le brevet, qui n’est pas absolue. En effet, le monopole qu’il accorde se trouve par nature limitée à l’invention telle que revendiquée dans le brevet. Rien n’empêche donc un concurrent de développer une solution technique alternative, dès lors qu’il n’empiète pas dans le périmètre de ses revendications.

En outre, le monopole du brevet est limité dans le temps : une fois délivré, le brevet ne peut être protégé que pendant 20 ans maximum après son dépôt, sous réserve que son titulaire décide de le maintenir en vigueur en payant une taxe (annuités). S’agissant du domaine pharmaceutique, il peut demander à bénéficier éventuellement d’une prorogation pendant 5 ans supplémentaires. Mais au-delà, l’invention couverte par le brevet entre dans le domaine public et peut ensuite être librement exploitée par quiconque. A terme, le monopole disparait…

Le monopole du brevet est également limité dans l’espace : le brevet ne produit d’effet que pour les territoires pour lequel il a fait l’objet d’une délivrance. En dehors de ces pays, l’invention est libre d’être fabriquée ou commercialisée par d’autres acteurs. Inutile d’attendre la fin du monopole…

Le second mécanisme venant limiter le droit des brevets concerne plus spécifiquement les produits pharmaceutiques : en effet, l’article L. 613-16 du Code de la propriété intellectuelle permet au Gouvernement de décider, dans des situations exceptionnelles et dans l’intérêt de la santé publique, d’octroyer une licence d’office sur un brevet détenu par un laboratoire à tout autre acteur intéressé.

Ce mécanisme ne doit pas être confondu avec celui de la licence obligatoire qui permet à un acteur de forcer le titulaire d’un brevet à lui accorder un droit d’exploitation, soit parce que ce dernier ne fait lui-même aucune exploitation de sa propre invention (articles L. 613-11 à L. 613-13 du Code de la propriété intellectuelle), soit parce que l’acteur a besoin de cette autorisation pour exploiter son amélioration dépendante du brevet (article L. 613-15 du Code de la propriété intellectuelle).

S’agissant de la licence d’office, les conditions de sa mise en œuvre sont strictement encadrées :

  • Cette licence d’office ne concerne que des brevets délivrés : elle ne peut donc s’appliquer à des demandes de brevet tant que l’examen est en cours, ce qui s’étend généralement sur plusieurs années ;
  • Pour que cette licence d’office puisse être octroyée, il doit y avoir nécessairement un approvisionnement insuffisant ou anormal du marché. Ce pourrait être le cas si le vaccin objet du brevet, bien que disponible en quantité suffisante, était proposé à un prix anormalement élevé ; ou inversement, bien que commercialisé à un prix raisonnable les volumes de productions seraient insatisfaisants au regard de la demande.

Un tel mécanisme permet alors d’apporter un véritable contrepouvoir à la tentative d’un laboratoire d’imposer des prix exorbitants pour leurs médicaments et vaccins ou pour pallier la pénurie (en cas de rupture d’approvisionnement ou d’arrêt définitif de la production).

Bien que n’ayant jamais en pratique été mise en œuvre en France, cette disposition de licence d’office, de par son existence, constitue en elle-même un élément de dissuasion… comme peut l’être également le brevet vis-à-vis des tiers les dissuadant de copier l’invention brevetée.

Le brevet est donc un outil aux rôles multiples que chacun peut mobiliser en fonction des objectifs qu’il poursuit. Ce système des brevets cherche à établir un juste équilibre entre l’intérêt privé de l’inventeur et l’intérêt collectif, entre effet incitatif pour stimuler l’innovation et modération pour prévenir des formes d’abus.

Christian MULENET

Cabinet GUIU – JurisPatent

Janvier 2021